Mise en intime

Publié le 12 Mars 2012

( Critique positive du spectacle « Se Trouver » de Luigi Pirandello, mise en scène de Stanislas Nordey ; faite dans le cadre d'un cours )

 

 


 

Mise en intime


 

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« Se Trouver », est une pièce de Luigi Pirandello ( 1867 – 1936 ; prix Nobel de littérature en 1934 ), peu connue en France. Montée une seule fois auparavant ( par Claude Régy en 1966 ), elle demeure néanmoins une oeuvre fondamentale dans le paysage théâtral, abordant des thémes forts et centraux de ce dernier. Notamment, la question de la condition du comédien ( de la comédienne en l'occurrence ), de son rapport avec son métier et des interrogations, inéluctables, entre vie réelle, vie jouée, mensonge, vérité,... Autant de notions complexes qui sont pourtant essentielles dans la vie de tout artiste. Luigi Pirandello avait touché du doigt ici quelque chose qui le concernait intimement, puisque lui même s'est voué presque entièrement à sa passion de l'écriture pour échapper, en quelque sorte, à sa vie, et surtout à son mariage ( qui fût d'une part arrangé, et d'une autre fortement étiolé par la folie croissante de sa femme, mais à laquelle il resta dévoué ). L'histoire, plutôt sommaire, se met agréablement au service du thème du double : une femme, Donata Genzi, grande comédienne dont le succès ne cesse de croître, se rend compte qu'elle n'a pas, ou peu, de vie en dehors de son métier, qu'elle ne sait pas faire autre chose que jouer. Elle rencontre un bel homme, du nom d'Ely Nielsen, marin qui ne peut souffrir le théâtre, son premier amour. Elle tente donc de déceler en elle la femme sans l'actrice, et peine à se trouver. Ely, qui ne l'aide pas dans ses questionnements, lui demande alors de faire le choix entre l'amour et l'art.


Mise en abyme
Parler du théâtre au théâtre n'est ni chose aisée, ni anodin. Ici la mise en abyme est de mise. Souhaitant jouer sur les doubles sens, les procédés sont multiples ; des lumières au texte, en passant par les décors, tout y est pour renforcer cette douce confusion.
En entrée : les décors. Trois actes, trois décors, foncièrement différents. Impressionnants de grandeurs, ils évoluent tout au long de la pièce, tantôt grâce aux techniciens, tantôt grâce aux comédiens eux mêmes. De plus en plus intimistes, ils se rapprochent du public en même temps que Donata Genzi ( Emmanuelle Béart ) se rapproche de son dénouement intérieur. Tout est orchestré et joué magnifiquement, respectant une sorte de « partition vocale ». On ressent ici la pâte du metteur en scène, Stanislas Nordey, qui aime, à notre grand bonheur, jouer sur des dictions très travaillées, des déplacements géométriques, réglés comme du papier à musique. Tout cela ramène à la question du théâtre dans le théâtre : où sont les véritables tics des comédiens, et où sont les indications du metteur en scène ? Qu'est ce qui est authentique et qu'est ce qui ne l'est pas ?
Les lumières, en plat de résistance, aseptisées au début, et de plus en plus tamisées, font transparaitre le cheminement intérieur de cette actrice perdue en elle-même. Il y a également un important jeu d'ombres, qui, comme les silences ont une influence qu'on néglige souvent. Durant la pièce, pas un personnage qui ne possède son sombre double, virevoltant tout contre les parois du décor, et on voit alors la portée symbolique et lyrique d'une telle image : la personnalité multiple.

L'arrivée des miroirs, au dessert, est la cerise sur le plateau. Ils permettent un beau jeu de scène entre Emmanuelle Béart et son reflet, qui illustre ainsi parfaitement le thème principal de la pièce, celui du double, de la personnalité, du reflet de soi-même, de notre propre vision,... Mais qui place le spectateur également dans la même veine, puisqu'il va chercher à trouver son reflet, en même temps que Donata se trouve perdue dans sa recherche.


Mise à nue
La scène d'exposition porte ici très bien son nom, puisque, appuyée par la lumière au néon qui donne l'impression de se trouver dans une salle chirurgicale, on voit les individus disséquant une comédienne absente. Exposée à toutes les critiques, elle ne peut se défendre puisqu'elle ne sait elle-même pas qui elle est. Les cinq dernières minutes du spectacle, qui font office de digestif, sont les plus époustouflantes, puisqu'on a l'impression de voir une Emmanuelle Béart qui s'exprime sincèrement et véritablement, et non plus une comédienne donnant vie à un texte. La dimension de la mise en abyme se revêt ici plus intimement, puisque l'actrice se donne tout entière à son public et à ses propos. Elle s'était presque dévêtue, à proprement parlé, durant le second acte, illustrant l'idylle amoureuse qu'elle vit, et pousse ensuite le procédé à son extrême en jouant son propre rôle.
La question du quatrième mur est également fondamentale dans la mise en procédé de la pièce. Tout en nous faisant nous questionner sur cette pensée, elle nous dérobe notre condition de spectateur. Il n'y en a pas, tout en en créant un. Le caractère intime des situations le fait vivre, mais les regards public lancinants le détruisent.


« Se retrouve-t-on en soi même ou dans le regard de chacun ? », question obsédante qui va habiter chaque spectateur, et lui laisser un arrière goût '' Pirandellien '' remplis d'interrogations. La pièce se terminant sur « l'idée qu'on ne peut se trouver que seul », apporte sa touche finale à cette pièce liant intime et tourbillonnement de questions, et livre, enfin, une réponse à cette pièce à suspense dont on ne voit pas le bout.

 

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« Le bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d’œuvre. »

 


Rédigé par On-s'tient-au-Juh

Publié dans #Critique ( théâtre - musique - cinéma -... )

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